Elle-même victime de violences sexuelles dans son enfance, la danseuse et comédienne Andréa Bescond est l’auteure de la pièce de théâtre “Les Chatouilles ou la danse de la colère”, qu’elle a ensuite adaptée au cinéma (“Les Chatouilles”, 2018). Elle vient de publier “Et si on se parlait ?” (HarperCollins), trois ouvrages à destination des enfants dès l’âge de 3 ans, pour les aider “à parler de tout, sans tabou”.
J’ai écrit “Les Chatouilles ou la danse de la colère” il y a huit ans. Quand j’ai commencé à révéler cette douleur des violences sexuelles sur mineure qui me submergeait, j’avais la sensation d’être un peu seule dans tout ça. Malheureusement, j’ai découvert qu’il s’agissait d’un véritable fléau. La pédocriminalité, ça représente un enfant sur cinq (c’est un chiffre du Conseil de l’Europe). La psychiatre Muriel Salmona parle de 165 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année et on aurait 4 millions de victimes d’inceste en France selon un sondage de l’AIVI (Association Internationale des Victimes de l'Inceste). Donc effectivement, j’étais vraiment loin d’être toute seule à l’avoir vécu. J’aurais préféré finalement… Au fil des années, j’ai aussi eu la chance de recevoir un enseignement de la part des associations et de différents activistes qui œuvrent en faveur de la protection de l’enfance. C’est pour cela que je suis encore là aujourd’hui, parce que le travail est loin d’être terminé.
Pourquoi ce sujet reste tabou ? Pour les victimes, cela a été prouvé par beaucoup de psychiatres et de neurologues : d’abord, il y a l’amnésie traumatique, c’est un obstacle insurmontable, elles ne se souviennent pas des violences sexuelles qu’elles ont subies, et puis à un moment de leur vie, elles vont s’en souvenir de manière très très précise. C’est un premier facteur de silence. Le deuxième, c’est la culpabilité, la honte… C’est inversement proportionnel avec l’agresseur : les victimes portent la honte d’avoir été violées, alors qu’elles ne sont en aucun cas responsables de ces violences qui leur ont été infligées.
Et puis il y aussi cette espèce de complaisance de la société à l’égard des violences. C’est toujours minimisé, c’est pas très grave… Aujourd’hui, les gens s’indignent assez facilement sur les réseaux sociaux, mais on est dans une urgence où les réseaux sociaux ne suffisent pas, où l’indignation actuelle ne suffit pas. Il y a une urgence quand on sait qu’un enfant meurt sous les coups de ses parents tous les quatre jours, oui il y a un vrai problème de société !
J’ai accepté d’être la marraine de Make.org parce que je pense que beaucoup de grandes idées viennent de la société civile. Je crois que les citoyens sont en mesure de trouver des solutions qui pourraient pousser les politiques dans une direction qui n’est pas suffisante aujourd’hui. On a vraiment besoin de secouer la société au sujet des violences sur enfants. Donc je suis tout à fait partisane de l’implication sociétale et générale de la France entière, et de l’indignation de la France entière sur les violences faites aux enfants.
Soyez conscients que la violence n’est jamais la normalité, la violence n’est pas la vie. La vie n’est pas faite pour être malheureuse sous les coups ou sous les sévices d’un adulte, ni d’un autre enfant. N’ayez jamais peur d’en discuter, n’ayez jamais peur de révéler ce qui vous arrive, parce que sinon ce secret va vous ronger et vous empêcher de grandir sainement. C’est toujours la faute des adultes, ce ne sera jamais la faute des enfants. N’importe quelle violence que vous subissez, vous n’en êtes pas responsable, soyez-en conscients, vraiment, c’est très important. Vous êtes des bonheurs que nous, les adultes, nous devons préserver.
Il faut instaurer un seuil de non-consentement pour les mineurs de moins de 15 ans concernant les violences sexuelles infligées par un majeur.
C’est ahurissant qu’il n’existe pas un vrai seuil de non-consentement pour les mineurs de moins de 15 ans en ce qui concerne des relations sexuelles avec des majeurs ! Et il faudrait que ce seuil monte à 18 ans en cas d’inceste ou de handicap, parce qu’on connaît le facteur de vulnérabilité multiplié dans ce genre de cas. Je ne suis pas la seule à en parler, toutes les associations de terrain, toutes les personnes concernées par la protection de l’enfance demandent ce seuil de non-consentement. Il faut vraiment que nos magistrats, nos législateurs, le ministère de la Justice, le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel, évoluent dans le sens de la société. Aujourd’hui, nos enfants sont en détresse et on ne les aide pas assez !