“Maman a 85 ans, elle vit avec moi. Je m’occupe d’elle le matin avant de partir travailler, et le soir, je me dépêche de rentrer”. Yveline Jaffredo, 63 ans, est patronnière dans le prêt-à-porter féminin, salariée de la maison Dior depuis vingt-sept ans. Le 15 octobre, dans les salons de Dior Haute Couture, au milieu des portants exposant les luxueux modèles de la collection, Yveline et plusieurs de ses collègues racontent, devant la ministre déléguée chargée de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon, leur difficile quotidien de “proches aidants”. Ce matin-là, la ministre est venue signer, avec Dior, l’association Handéo et Make.org Foundation, la convention d’engagement “Entreprise pour les aidants”.
Ce projet, qui a pour objectif d’aider 350 entreprises par an dans l’accompagnement de leurs salariés aidants, est issu du plan d’actions de la Grande Cause “Mieux prendre soin des aînés”, initiée par Make.org, en partenariat avec le Ministère des Solidarités et de la Santé.
Yveline fait donc partie de ces “salariés aidants”, qui tentent tant bien que mal, souvent dans une profonde détresse et une grande solitude, de concilier vie professionnelle et assistance quotidienne à un proche en perte d’autonomie. Un statut encore flou, diversement pris en compte dans le monde du travail, alors que la création d’un “congé du proche aidant”, indemnisé, vient d’être annoncée par le gouvernement le 1er octobre 2020.
Une autre salariée vit seule avec son fils de 16 ans et s’occupe de sa mère âgée de 89 ans, qui souffre d’une dégénérescence du cerveau, et pour qui elle a réussi à trouver une place dans un Ehpad, tout en se débattant avec d’inextricables complications administratives.
“J’ai la chance de travailler dans un service avec une réelle bienveillance. C’est un soulagement de savoir qu’on ne va pas être pénalisé parce qu’on s’occupe de nos parents.”
Emmanuelle Favre, la directrice des ressources humaines, souligne en effet que "le soutien aux salariés aidants fait partie des piliers de la politique RSE" de la maison Christian Dior Couture, également très engagée dans la lutte contre les discriminations liées au handicap.
Un accord relatif au don de jours de repos a été signé dans l’entreprise, qui compte une quarantaine de salariés aidants, soit 2% de l’effectif. “Nous avons constaté que des salariés faisaient don de jours de congés à des collègues dans certains services mais pas dans d’autres, nous devions harmoniser cette politique, explique David Morin, directeur du personnel et des affaires sociales. Et nous allons poursuivre cette démarche grâce à l’accompagnement et à l’expertise de nos partenaires KLESIA et Handéo.”
Béatrice Fabiani, 63 ans, est entrée chez Dior en 1992. Elle est vendeuse dans la boutique des Champs-Elysées et vit avec sa mère âgée de 86 ans, atteinte de la maladie de Parkinson.
“Du jour au lendemain, il y a eu une aggravation, je ne pouvais plus la laisser seule du tout, j’ai dû m’organiser dans l’urgence. La compréhension de notre hiérarchie est très importante dans ces moments de désarroi.”
Même soulagement de se savoir soutenu par son employeur pour Yann Phonsavane-Maniphanh, 52 ans, modéliste pour le prêt-à-porter féminin de Dior depuis trente ans, qui héberge son père de 79 ans, diabétique, et l’accompagne dans toutes ses démarches médicales et administratives car il parle mal le français.
“Tous ces témoignages résument le chantier du grand âge", réagit la ministre, Brigitte Bourguignon, qui annonce qu’après la création du congé indemnisé pour les aidants, le prochain enjeu sera de leur proposer des “solutions de répit”.
"La société tout entière est dans un déni du vieillissement et de la perte d’autonomie, or il faut anticiper que nous pouvons tous devenir aidants un jour. Vous avez décrit ces parcours du combattant : quand on décide d’aider un proche, on ne travaille pas comme on le souhaiterait, on culpabilise… L’employeur, lui, se trouve parfois devant de l’absentéisme, du mutisme, et dans une incompréhension préjudiciable au salarié comme à l’entreprise.”
Brigitte Bourguignon se félicite qu’ici, chez Dior, “le dialogue existe” :
“On pourrait penser que dans une entreprise emblématique du luxe, de la culture de l’excellence à la française, il pourrait y avoir une certaine indifférence aux problèmes sociaux, humains. Ce n’est pas le cas. Il est d’autant plus intéressant qu’une maison comme la vôtre se penche sur cette question des aidants et s’intéresse de près aux personnes qui travaillent pour elle.”
Selon Julien Paynot, président de Handéo, une association dont la mission est de “permettre aux personnes âgées et handicapées de vivre pleinement chez elles et dans la cité”, la question des salariés aidants sera “le sujet de demain pour les ressources humaines de toutes les entreprises”.
“Il est remarquable de voir une maison comme la vôtre qui envoie un signal extrêmement fort à ses salariés en situation de fragilité. Vous apportez des solutions très concrètes et vous montrez que c’est possible.”
Enfin, Estelle Colas, directrice des Grandes Causes chez Make.org, rappelle que “le nombre des personnes âgées de plus de 85 ans va tripler d’ici à 2050 pour atteindre 5 millions de personnes”.
“La prise en compte des aidants dans les entreprises va devenir essentielle. La signature de cette convention est un message fort adressé à toutes les entreprises françaises pour les inciter elles aussi à s’engager dans cette démarche en faveur des aidants.”
Concrètement, en signant cette Convention, la Maison Dior s’engage donc à poursuivre le processus de labellisation Cap’Handéo “Entreprise Engagée auprès de ses Salariés Aidants”, co-produit par Handéo Services et KLESIA, et à devenir expérimentateur de l’action “Entreprise pour les aidants” dans le cadre de la Grande Cause de Make.org “Mieux prendre soin des aînes”.
Une matinée qui se termine en beauté par une visite des ateliers "Flous et Tailleurs", où des dizaines de couturiers et d’artisans déploient leur exceptionnel savoir-faire, leur virtuosité du plissage et du “picotage”, pour confectionner les robes, vestes, manteaux, chapeaux de la nouvelle collection.