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Stop aux Violences faites aux Femmes

Suis-je seule ?

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Suis-je seule ?
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Ancienne conseillère régionale et porte-parole d’Europe Écologie - Les Verts (EELV), Sandrine Rousseau est aujourd’hui vice-présidente de l’université de Lille, chargée de la vie étudiante, de la vie de campus et de l’égalité femmes-hommes, et maître de conférences en économie. Elle est la présidente de l’association Parler, à l’origine du projet “Suis-je seule ?”. Interview.

Comment est née l’idée de la plateforme “Suis-je seule ?” ?

C’est parti de mon expérience dans l’affaire Baupin (*), j’ai pensé qu’il fallait donner la chance à d’autres femmes victimes d’un même agresseur de se connaître. C’était à l’époque de l’affaire Weinstein, et le mouvement MeToo disait exactement cela : nous sommes des dizaines, des centaines, mais nous ne nous connaissons pas. Je me suis dit : il faut agir !

Au départ, j’ai simplement créé une adresse mail “suis-je seule ?”, mais j’ai très rapidement été submergée. En quelques jours, j’ai reçu 700 mails ! Toutes les femmes me demandaient comment elles pouvaient déposer le nom de leur agresseur, et savoir s’il avait fait d’autres victimes. J’ai dû arrêter très vite, parce que le mail n’était pas sécurisé.

Très vite, grâce à la Fondation des Femmes, on a travaillé avec des avocats et des développeurs pour constituer un dossier de site sécurisé, qui est en cours d’examen à la Commission nationale de l’Informatique et des Libertés (Cnil). Je continue à recevoir des relances tous les jours, via mon association Parler, de personnes qui veulent savoir où en est le projet, parce qu’elles en ont besoin.

Pourquoi est-ce si important, pour une victime, de savoir qu’elle n’est pas seule ?

Dans l’affaire Baupin, être plusieurs a été un atout essentiel. Au départ, il y avait des rumeurs dans le parti (EELV), mais avant l’enquête de Mediapart et France-Inter, je ne savais pas qu’il y avait d’autres victimes. Tant qu’on croit être seule, on se remet en question, on s’interroge sur notre attitude, on se dit : “C’est moi qui ai mal compris, c’est moi qui lui ai mal dit, c’est moi qui ai trop dansé, ou trop bu…”  Mais quand on apprend qu’on est plusieurs, on comprend que le problème, ce n’est pas nous, c’est lui. Et qu’il est dangereux, qu’il faut l’arrêter.

Vous dites qu’être plusieurs aide également à aller déposer plainte.

En effet, ce n’est pas simple de déposer plainte, on a peur de se retrouver face à l’agresseur, de retomber dans un phénomène d’emprise. Savoir que l’on n’est pas seule diminue les angoisses et enclenche plein de choses. En France, seules 10 femmes violées ou agressées sur 100 déposent plainte : pour aider les 90 autres à le faire, le dispositif “Suis-je seule ?” est très important. Le fait d’être plusieurs donne réellement plus de chances d’arrêter ces gens. Car on sait qu’un agresseur ou un violeur répète généralement ses gestes, qu’il récidive. Une des femmes avec qui je suis en contact a été violée dans l’enfance par un entraîneur de judo. Ce type a probablement fait plusieurs victimes, voire dizaines de victimes, mais aucune n’a eu la force de déposer plainte, et le type vient de mourir tranquillement sans avoir jamais été inquiété.

Cela donne-t-il aussi plus de poids dans les procédures judiciaires ?

Quand on dépose plainte et qu’il n’y a pas - ou plus - de preuves matérielles, être en nombre permet de mettre en évidence un mode opératoire pour confondre l’agresseur. Nous avons par exemple dans l’association le cas d’une femme qui a été violée sous GHB (la “drogue du violeur”). Elle n’a aucune preuve (les traces de GHB disparaissent très vite du corps), elle n’a que des flashs flous, donc si elle dépose plainte seule, la plainte a toutes les chances d’être classée sans suite. En revanche, si elles sont 3 ou 4 femmes à décrire les mêmes circonstances à la barre d’un tribunal, les mêmes gestes, les mêmes flashs flous, leurs témoignages deviennent plus crédibles et convergent vers l’agresseur de manière beaucoup plus sûre.

C’est vraiment décisif car cela montre qu’il ne s’agit pas d’une erreur d’interprétation, d’un jeu de séduction mal compris entre deux personnes, mais bien d’un viol, avec une intention de viol. Toutes les femmes que j’entends dans l’association décrivent des procédés précis, et sans doute répétés. Regardez Harvey Weinstein par exemple, il faisait systématiquement monter les femmes dans sa chambre d’hôtel.

Vous déplorez que la justice se concentre davantage sur le profil de la victime que sur celui de l’agresseur.

En France, on est globalement au Moyen-Âge sur ce point. Dans le procès de Georges Tron, comme dans celui du 36 quai des Orfèvres, c’était incroyable, la question était essentiellement de savoir si les victimes avaient une sexualité rangée, ou bien totalement débridée, comme si cela avait une quelconque importance ! Dans le procès Baupin, son avocat a décortiqué la vie sexuelle de chacune d’entre nous. Je voudrais vraiment que soit mis un terme à ces stratégies de défenses, qui, pour innocenter un client, salissent les victimes. On aura vraiment franchi un cap le jour où on examinera les modes opératoires des agresseurs plutôt que la vie intime des victimes.

Telle que vous l’avez imaginée, comment fonctionnera la plateforme “Suis-je seule ?” ?

Au départ, j’avais pensé que la plateforme permettrait de mettre les victimes d’un même agresseur directement en relation entre elles. Mais grâce à l’aide des avocats, je me suis aperçue que si elles échangeaient entre elles avant de déposer plainte, cela pourrait affaiblir leur témoignage d’un point de vue juridique.

Nous avons donc réorienté le projet. Aujourd’hui, l’idée est que les victimes puissent déposer sur le site le nom de leur agresseur, qui sera immédiatement crypté, personne n’y aura accès. Mais si la même identité cryptée est déposée par plusieurs personnes, alors elles pourront être mises en relation avec un avocat, qui pourra leur proposer de les recevoir - séparément - dans son cabinet, recueillir leur témoignage, et procéder à toutes les vérifications nécessaires. Les victimes ne se rencontreront pas entre elles, mais elles pourront être informées de l’existence d’autres victimes. Et chacune pourra alors envisager, si elle le souhaite, et avec l’aide de l’avocat, de déposer plainte.

Quelles sont les prochaines étapes avant le lancement de la plateforme ?

Par l’intermédiaire de Make.org, l’association Parler vient de conclure un partenariat avec le cabinet d’avocats White&Case (voir ci-dessous). J’espère qu’ils pourront faire avancer le dossier auprès de la Cnil. Nous n’attendons plus que cette autorisation pour lancer cette plateforme, qui, je suis sûre, sera d’une utilité énorme, car il y a une attente vraiment énorme.

(*) L’enquête de police visant le député écologiste Denis Baupin, accusé de harcèlement et d’agressions sexuelles par plusieurs femmes, a été classée sans suite, une partie des faits étant prescrits. Denis Baupin a par la suite poursuivi pour diffamation ses accusatrices et les journalistes de Mediapart et France- Inter qui avaient révélé l’affaire. Au procès, le parquet a requis la relaxe des médias et des femmes poursuivies. Le jugement est attendu pour le 19 avril.

Propos recueillis par Lisa Vaturi

lv@make.org

“Je savais qu’à deux, on serait plus fortes”
Malena, 29 ans

J’ai été violée à l’âge de 13 ans par un type que j’avais rencontré un été, en Suisse. Dans ce groupe d’amis, il y avait une fille, Chloé, qui m’avait mise en garde contre lui avant l’agression. Quand j’ai envisagé de porter plainte, un an avant le délai de prescription,  j’ai recherché cette Chloé partout, par tous les moyens, j’ai passé mes nuits sur les réseaux sociaux pour la retrouver.  Je suis convaincue que quelqu’un qui viole une fois, récidive, qu’il fait d’autres victimes. Je pensais que si je donnais le nom de mon agresseur, et que quelqu’un d’autre donnait également ce nom, ça pourrait ressortir. Je n’avais pas le courage de faire les démarches seule, le combat est trop dur. J’avais peur, et je savais qu’à deux, on serait plus fortes, plus crédibles face à la police pour dévoiler le profil du violeur.  On dit toujours que c’est la parole de l’un contre la parole de l’autre, mais si c’est la parole de plusieurs contre un, ça aura beaucoup plus de poids. C’est pourquoi l’idée de “Suis-je seule ?” me paraît essentielle.

Le cabinet White&Case

White&Case est un cabinet d’avocats d’affaires international, présent dans 30 pays à travers 44 bureaux, et qui compte à Paris plus de 180 avocats. Une partie de son activité est dédiée au pro bono, c’est-à-dire à des interventions à titre gratuit auprès d’entreprises philanthropiques ou pour des missions d’intérêt général. “Soutenir la cause des femmes est un engagement important pour le bureau de Paris, explique une collaboratrice du cabinet. Nous avons plusieurs dispositifs autour des femmes : formations, coaching, networking, accompagnement de carrière…” C’est dans cet esprit que White&Case a accepté d’accompagner l’association Parler et Make.org dans le projet “Suis-je seule ?” pour encadrer juridiquement sa mise en œuvre. “Cette initiative est cohérente avec nos valeurs, explique-t-on chez White&Case. Nous avons une vraie volonté de la  porter.”   

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