Réduire les emballages plastiques, privilégier les produits locaux et de saison, lutter contre le gaspillage énergétique, modifier ou non nos façons de nous déplacer… : le 4 juin, lors d'une conférence virtuelle, citoyens et experts ont présenté et analysé les idées plébiscitées et les grandes controverses identifiées lors de la consultation citoyenne "Comment agir ensemble dès maintenant pour l'Environnement ?".
Menée du 5 novembre 2019 au 15 février 2020 par Make.org, Kering, Monoprix, EDF, JCDecaux, EPSA, Sopra Steria et Citeo, en partenariat avec l’ADEME, ainsi qu’avec 70 associations et startups (dont la Fondation GoodPlanet, la LPO, le Comité 21...) et plusieurs médias dont Franceinfo, le Groupe Les Echos-Le Parisien et La Croix, cette consultation a recueilli une participation record : 540 000 participants, 13 600 propositions et 2,3 millions de votes !
En introduction, Axel Dauchez, le président de Make.org, rappelle que la Grande Cause #ActionEnvironnement est “un programme de trois ans, dont l'ambition est de synchroniser la société civile pour agir concrètement sur le sujet de l’environnement en France” : “Notre volonté était de toucher la population à une très large échelle pour identifier les idées sur lesquelles tous les Français sont d’accord, car ce sont ces consensus qui permettront de mettre en mouvement la société civile.” Premier objectif atteint : “Le niveau exceptionnel de participation à cette consultation, dans toutes les tranches d’âge et toutes les régions, démontre que nous avons réussi à sortir de l’entre-soi des acteurs déjà engagés, et que l’environnement est bien un sujet majeur aux yeux des Français".
Parmi les 13 grandes idées plébiscitées par les Français, des citoyens ayant participé à la consultation ont ensuite présenté leur proposition et échangé avec des experts.
La proposition de Marinette Brulé : Il faut valoriser le métier de réparateur d'articles d'électroménagers et assimilés (pour pouvoir acheter du matériel réparable).
“Dans cette période de confinement, les Français ont expérimenté la sobriété et se sont rendu compte qu’on pouvait vivre autrement et consommer moins, avec d’autres valeurs, sans être malheureux pour autant, observe Samuel Sauvage, président de Halte à l’Obsolescence Programmée (HOP). Ils se sont notamment aperçus que leurs appareils électroménagers étaient conçus pour ne pas pouvoir être réparés facilement. Il faut savoir que dans 40% des cas, les appareils sont jetés au lieu d’être réparés. C’est pourquoi nous appelons l’Etat et les grandes entreprises à assumer leur rôle pour que toutes ces techniques visant à l’irréparabilité des produits soient interdites, et que les garanties soient plus longues. Nous préconisons également d’enseigner davantage la réparation au collège, et de favoriser le métier de réparateur avec une TVA plus réduite.”
La proposition de Nathalie Crosnier : Il faut que l’agriculture soit locale et redevienne saisonnière.
Nathalie Crosnier détaille les trois raisons de sa proposition : “Premièrement, pour notre sécurité alimentaire : pour ne plus dépendre de chaînes logistiques longues et complexes, pour garantir l’approvisionnement et la résilience, et pour réduire l’impact environnemental, faire moins de transports, moins de kilomètres, moins de CO2. Deuxièmement, pour notre sécurité sanitaire : pour bénéficier de fruits et légumes de meilleure qualité qui auront le goût des champs, pour varier les plaisirs tout au long de l’année, attendre les saisons, nous garantir les nutriments dont nous avons besoin au bon moment, c’est-à-dire respecter les cycles naturels, et pour recréer massivement de la biodiversité. Enfin, pour les hommes : pour être plus équitables, pour une juste rémunération des agriculteurs, en diminuant le nombre des intermédiaires, et pour être plus juste avec les foyers qui sont en difficulté en leur donnant accès à des fruits et légumes moins chers que ceux qui sont cultivés sous serre et importés. Nous devons adapter notre système de production et de consommation face au changement climatique, c’est vraiment urgent.”
Alice Cotte, directrice de la communication éditoriale de La Ruche qui dit Oui, confirme que “pendant cette crise, l’approvisionnement alimentaire est remonté comme un sujet extrêmement stratégique, avec des ruptures de stocks sur certains produits et un manque de débouchés pour les producteurs. Dans ce contexte, les circuits courts ont été largement plébiscités car ils se sont révélés plus résilients : ils ont permis de contingenter les commandes, de réduire les distances entre lieux de production et de consommation, et de remettre de l’humain dans les achats, avec davantage de confiance dans l’origine des aliments et la prise en compte de l’impact social sur les producteurs. Cependant, ce choix de consommation implique un budget alimentaire revu à la hausse, et le désir de durabilité ne peut pas reposer uniquement sur le consommateur. C’est pourquoi nous demandons si le politique ne devrait pas intervenir pour encadrer un partage de la valeur plus juste entre producteurs et distributeurs ?”
La proposition de Yoann Gimbert : Il faut subventionner le chauffage bas carbone (biomasse, pompe à chaleur, solaire...) dans les logements neufs et pour la rénovation.
Pour expliquer sa proposition, Yoann Gimbert, 27 ans, ingénieur à Belfort, explique que “le secteur résidentiel représente environ 20% des émissions de CO2 en France, notamment à cause du chauffage et de la production d’eau chaude”. Donc selon lui, “si on veut véritablement décarboner ce secteur, il va falloir se passer totalement des énergies fossiles, comme le fioul et le gaz. Heureusement, il existe déjà des solutions et elles sont aujourd’hui rentables : c’est le cas de la biomasse, des pompes à chaleur et du solaire thermique”. Il détaille les avantages de chacune de ces solutions, pour leur efficacité énergétique et leur faible impact environnemental. C’est pourquoi il plaide pour que “l’Etat se saisisse de ce sujet et subventionne toutes ces technologies de chauffage propre, qui, associées à des travaux de rénovation et d’isolation thermique, permettraient de réduire drastiquement l’impact du secteur résidentiel sur l’environnement”.
Sur la question du gaspillage énergétique, Anne-Marie Ducroux, présidente de la section environnement du Conseil économique, social et environnemental (CESE), rappelle que l’empreinte carbone des Français était de 11,2 tonnes par habitant en 2018, alors que l’objectif est de 2 tonnes en 2050. Dans le bâtiment, comme évoqué par Yoann, “notre objectif est bien de changer notre mix énergétique et d’accroître toutes les énergies renouvelables. Mais nous sommes encore assez loin des objectifs que l’on s’était fixés, donc il va vraiment falloir changer de dimension dans les années à venir”.
Anne-Marie Ducroux attire également l’attention sur la question du gaspillage dans les éclairages : “En vingt ans, la lumière émise en France a augmenté de 94% et nous dépensons 2 milliards d’euros par an dans ce domaine. Depuis 2013, l’éclairage des vitrines est interdit à partir d’une certaine heure, et pourtant il n’y a ni contrôle ni sanction. Sur ce point, comme sur tous les autres, il va falloir reconcevoir les usages à partir des besoins réels, en allant vers plus de sobriété.”
Plus globalement, elle observe qu’“on a tendance à toujours vouloir que l’effort soit porté par l’Etat et les grandes entreprises. Mais il faut aussi qu’on s’interroge tous sur ce que chacun peut faire, individuellement”.
Un autre sujet, très discuté dans la consultation, a fortement divisé les participants : les transports. Les citoyens s’accordent en effet sur le besoin de limiter les transports les plus polluants (notamment par le biais de taxes sur les paquebots, les avions ou les poids lourds), et sur le développement de moyens de transport plus écologiques pour les personnes et les marchandises, comme le vélo et le train. En revanche, dès qu’il s’agit de limiter la voiture individuelle, ou de favoriser la voiture électrique, les Français sont beaucoup plus divisés. D’où la question : la crise du coronavirus a-t-elle fait évoluer le regard, notamment sur les transports en commun et le recours à la voiture individuelle ?
Anne-Marie Ducroux confirme que le sujet de la voiture individuelle est un débat qui traverse la société française. “Naturellement, la question se pose très différemment si vous être dans une grande métropole avec des alternatives et des combinaisons de transports en commun, ou si vous êtes dans une zone rurale ou péri-urbaine et que la voiture est indispensable à votre autonomie.” Néanmoins, elle affirme qu’“il va falloir avancer avec des mesures d’aides, d’accompagnement, d’incitation, mais aussi très probablement un jour avec de la contrainte”.
Sur le thème de la voiture électrique, autre sujet de controverse dans la consultation, elle estime qu’“on a besoin de créer des alternatives au moteur thermique et de diversifier les flottes automobiles”, mais elle souligne que “le tout-électrique n’est pas le tout-écologique, car les voitures électriques nécessitent des équipements, qui ont aussi un coût environnemental”. Elle rappelle également que les voitures électriques ont des conséquences sur l’emploi, c’est pourquoi “nous avons besoin de politiques publiques globales”.
En conclusion, Fabrice Boissier, directeur général délégué de l’Agence de la transition écologique (ADEME), livre son analyse des résultats de cette consultation :
“Cette consultation est une façon d’éclairer l’état de l’opinion et la capacité d’engagement de nos concitoyens. Un point qui a été réinterrogé par la crise que l’on vient de vivre, c’est le rapport à l’espace. Entre notre salon dans lequel nous avons été confinés et l’espace monde, il y a le territoire. A l’ADEME, nous sommes convaincus que le territoire va être un facteur clé pour réussir la transition écologique, et que les collectivités sont un atout pour répondre à beaucoup des idées qui sont ressorties de cette consultation, notamment sur les circuits courts, le gaspillage énergétique, la végétalisation des villes, la reforestation…
Mais il ne faut pas être naïfs : sur les circuits courts comme sur la relocalisation de notre économie, il n’y aura pas de basculement intégral. On s’aperçoit par exemple qu’en temps de crise, l’économie circulaire peut être rendue plus vulnérable, et qu'inversement, les grands circuits de distribution peuvent apporter de la robustesse. Tout n’est pas tout noir ou tout blanc, nous allons vraisemblablement aller vers des systèmes hybrides de production, avec plus de local là où il y a vraiment de la valeur ajoutée et des attentes de nos concitoyens, comme sur l’alimentation, et des productions plus centralisées pour des objets technologiques, pour l’énergie, la médecine… Il faut qu’on apprenne à vivre dans ce monde avec différentes focales de territorialisation.
Par ailleurs, se pose la question de l’engagement de la société civile : comment peut-il se concrétiser ? On ne peut pas tout demander à l’Etat et aux grandes entreprises ; pour la transition écologique, nous avons besoin de toutes les forces vives de la nation. Il faut que les intentions exprimées par les citoyens se traduisent par du passage à l’acte. Cette crise a été un moment de rupture pour tous, et c’est peut-être l’occasion d’opérer une bascule et de réorganiser certains aspects de nos vies. Par exemple, on voit que l’usage du vélo a doublé depuis le déconfinement : j’ai l’espoir que ce déclic soit durable. Autre exemple : le télétravail. L’expérience du confinement peut faire émerger de nouvelles envies de la part des salariés et de nouvelles idées de la part des entreprises.
Je voudrais enfin insister sur un point : nous sortons d’une crise qui a mis à mal notre corps social et mis en évidence des fragilités du point de vue de la solidarité de notre société. L’Etat, les collectivités, les entreprises ont leur rôle à jouer. Mais la société civile peut s’assurer que les changements de pratiques embarquent tout le monde, y compris les plus démunis. Il n’y aura pas de transition écologique sans solidarité.”
Estelle Colas, directrice des Grandes Causes chez Make.org, explique ensuite les prochaines étapes de la Grande Cause #ActionEnvironnement : “Fin septembre, des ateliers thématiques réuniront des citoyens, des associations, des entreprises, des startups, des institutions comme l’ADEME, autour des idées émergentes de la consultation, pour co-construire le plan d’actions de la société civile”.
Enfin, Axel Dauchez, le président de Make.org, souligne lui aussi l’importance du rôle de la société civile : “Entre économie et écologie, entre protection des plus faibles et transformation nécessaire de la société, il va être difficile de trouver le chemin. Cette Grande Cause a vocation à trouver les quelques lignes de force qui nous rassemblent tous, et qui ont le plus de chances d'engendrer des changements d’impact national, et de réconcilier la population.”