Consultations, concertations, conventions... Comment amplifier la participation citoyenne en alliant numérique et présentiel ? Dans le cadre du Mois de l’Innovation publique organisé par la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP), Res publica et Make.org, deux civic tech engagées depuis plusieurs années sur les enjeux démocratiques et de société, organisaient, le 25 novembre au Palais d’Iéna, siège du Conseil économique, social et environnemental (CESE), un atelier collaboratif pour partager les bonnes pratiques des différents dispositifs participatifs conjuguant numérique et présentiel. Avec une conviction partagée : “pour être à l’échelle des enjeux, la démocratie participative doit impliquer très largement la population en explorant toutes les modalités existantes”.
En introduction de cet atelier, Arnaud Magnier, conseiller du président du CESE, assure que son institution, dont “la philosophie générale est de créer une hybridation entre la société civile organisée et les citoyens”, est “convaincue que la digitalisation d’une partie de la parole citoyenne peut produire des effets extrêmement utiles”. Toutefois, précise-t-il, il est indispensable que “la question soit extrêmement bien posée, dans un contexte porteur qui ne laisse pas de doute sur l’instrumentalisation possible de ces travaux”. Et que “nous soyons parfaitement clairs sur ce que nous faisons du résultat final, et sur la façon dont nous organisons le rendu de comptes aux citoyens dans un temps plus long”.
La co-fondatrice et directrice générale de Make.org, Alicia Combaz, rappelle la question posée aux participants à cet atelier : “Civic tech et participation citoyenne de terrain : le tandem gagnant ?”. Un “tandem” qui s’illustre concrètement dans la démarche de Make.org : “Notre entreprise s’est créée il y a cinq ans autour de cette mission d'engager massivement la société civile dans la transformation positive de la société. Dans cette mission, il y a deux enjeux : l'engagement, qui passe par des consultations citoyennes numériques très massives, et la transformation de la société, qui passe par la mise en œuvre d’actions issues de ces processus participatifs et le suivi de leur impact. Donc dès le départ, le présentiel s’est invité dans notre équation très tech, car à l'issue de nos consultations numériques, nous nous rassemblons dans des ateliers d'intelligence collective pour aller jusqu'au déploiement d'actions sur le terrain.”
Sophie Guillain, directrice générale de Res publica, explique qu’à un moment donné, son cabinet, spécialiste de la concertation et du dialogue collaboratif, a eu besoin du numérique pour amplifier et massifier ses processus présentiels, notamment grâce à son outil Jenparle. “Comment faire contribuer des gens qui ne viendraient pas à une réunion en présentiel ? Comment structurer, cadrer les débats en ligne, pour que les gens échangent de façon sereine, productive et utile ? Comment faire en sorte que la discussion s’inscrive dans un parcours de concertation où il se passe d’autres choses, ne pas faire du numérique pour du numérique, proposer des briques qui s’articulent ?” Voilà les questions auxquelles les participants à l’atelier (élus locaux, responsables associatifs, entrepreneurs, consultants…) sont invités à répondre par petits groupes, ce jeudi soir, dans le salon Eiffel du Palais d’Iéna.
Première étape, chaque table est invitée à choisir le dispositif qu’elle souhaite analyser : budget participatif, convention citoyenne, concertation pour un projet d'aménagement local, consultation nationale type Grand Débat, ou politique publique régionale ou métropolitaine.
On entre vite dans le vif du sujet. Premier écueil : en présentiel comme en distanciel, “il restera toujours des publics qu’on ne touchera pas”. Fracture générationnelle, fracture numérique… Extraits des discussions : “Le numérique, les réseaux sociaux, permettent d’aller chercher des publics qu’on ne voit pas habituellement dans les réunions publiques, comme les jeunes. Le distanciel permet aussi à des personnes qui n’osent pas parler en public ou qui s’autocensurent, de s’exprimer. Et grâce aux ressources numériques, les participants peuvent s’informer et monter en compétences. Mais d’un autre côté, il faut aussi aller chercher les gens qui ne peuvent pas participer en ligne. Et dans le débat physique, il y a une solennité, une communication non verbale, les réactions de l’interlocuteur qui permettent de moduler le discours.” Autre vision de l’équation : “Quand tu es sur le numérique, ta crédibilité pour mobiliser est très difficile. Inversement, quand tu as un ancrage local, la capacité à passer à l’échelle est difficile”. La discussion progresse vers la nécessité de la complémentarité entre les deux dispositifs…
Certains points suscitent néanmoins des désaccords. Tout d’abord, les coûts. D’un côté, “le numérique permet d’économiser les frais d’organisation d’un débat physique, la location d’une salle”, mais d’un autre côté, “la gestion et l’exploitation des données recueillies sur le numérique représentent également un budget”. Autre point de discorde : l’anonymat. “Derrière leur écran, les gens disent tout et n’importe quoi !”, s’agace un participant. “Quand on parle de politique, on n’a pas forcément envie de donner son nom”, rétorque un autre. La question de la modération est, elle aussi, controversée : une personne modère-t-elle spontanément davantage ses propos quand elle s’exprime à l’oral en présentiel, ou à l’écrit en distanciel ? A-t-on davantage besoin de modérateurs pour recadrer un débat physique qui risque de déraper, ou pour vérifier la conformité de propos rédigés en ligne ? Enfin, est-il indispensable de demander à la personne qui s’exprime “d’où elle parle” ? En présentiel, on demande généralement aux gens de se présenter. Sur le numérique, ce n’est pas une obligation. Sophie Guillain précise que sur Jenparle, Res publica, par exemple, a choisi de laisser le choix aux participants.
Alors, comment faire de la complémentarité des dispositifs présentiels et distanciels ce fameux “tandem gagnant” ? Plusieurs pistes sont évoquées.
En conclusion, Sophie Guillain souligne que “nous n’aurions sans doute pas eu les mêmes débats avant le Covid”. “Le numérique, qui s’est imposé avant la crise, s’est également révélé comme un puissant palliatif aux liens que nous ne pouvions plus avoir. Aujourd’hui, l’animation à distance s’est invitée en plus du numérique et du présentiel, renforçant le tandem gagnant !”